Derrière le terme technique « CumCum » se cache une pratique massive d’optimisation fiscale qui coûte chaque année des milliards d’euros à l’État. Cette stratégie, largement utilisée par des investisseurs non-résidents, consiste à éviter la retenue à la source sur les dividendes français. Le mécanisme est simple mais redoutable : juste avant le versement d’un dividende, les titres sont temporairement transférés à une entité française ou non soumise à cette retenue, pour ensuite être restitués à leur propriétaire initial.
L’arbitrage de dividendes de type « CumCum » repose sur une faille juridique dans l’application des conventions fiscales internationales, qui visent à éviter la double imposition. Si l’opération n’est pas illégale en soi, elle enfreint l’esprit de la loi fiscale française, en vidant de sa substance l’imposition sur les revenus du capital.
Depuis quelques années, la pression monte au niveau européen, notamment à la suite des révélations sur les systèmes « CumEx » et « CumCum ». La France, à son tour, s’attaque frontalement à ces pratiques.
L’avis du Conseil d’État : un soutien au renforcement du cadre législatif
Dans un avis rendu le 30 janvier 2025, le Conseil d’État valide et encourage un projet de durcissement législatif visant ces montages financiers. Trois grands axes émergent de ce texte consultatif adressé au gouvernement :
- L’introduction de la notion de bénéficiaire effectif dans le Code général des impôts (CGI). Objectif : clarifier qui profite réellement des revenus afin d’éviter les manipulations d’identité fiscale.
- L’élargissement du dispositif anti-abus, pour inclure tous les accords ou instruments financiers produisant un effet similaire à la détention de titres. Cela permettrait de viser aussi les opérations complexes avec produits dérivés.
- Une retenue à la source conservatoire sur les dividendes versés dans certains pays partenaires. Le remboursement serait ensuite conditionné à la preuve du caractère non abusif de l’opération.
Le Conseil d’État insiste également sur la nécessité de respecter les conventions fiscales internationales, tout en assurant un contrôle renforcé sur les flux de dividendes. Ce projet marque une évolution notable vers une fiscalité plus souveraine et plus rigoureuse.
Conséquences pour les investisseurs étrangers et les institutions financières
Le tour de vis réglementaire annoncé par le Conseil d’État va profondément transformer les pratiques des acteurs financiers internationaux. Les institutions concernées sont principalement :
- Les banques et courtiers internationaux, qui jouent un rôle central dans la structuration des opérations « CumCum ».
- Les fonds d’investissement étrangers, souvent domiciliés dans des juridictions à fiscalité avantageuse.
- Les investisseurs particuliers fortunés, recourant à ces mécanismes via des structures intermédiaires.
Ces acteurs devront désormais documenter précisément les opérations, prouver l’absence de but principalement fiscal, et surtout justifier du statut de bénéficiaire effectif des dividendes. Une exigence nouvelle qui pourrait freiner la fluidité des opérations de transfert de titres autour des dates de détachement.
Le risque principal est la généralisation d’une retenue à la source automatique, avec un remboursement postérieur conditionné à l’analyse fiscale du montage. Ce mécanisme inversé impose une lourde charge de la preuve au contribuable, réduisant l’intérêt même de la stratégie CumCum.
En coulisse, plusieurs grandes institutions financières envisagent déjà des révisions de leurs politiques de trading de dividendes, voire l’abandon de certains produits jugés trop risqués.
Une réforme à venir : calendrier, débats et incertitudes fiscales
Le gouvernement, fort de l’aval du Conseil d’État, devrait insérer ces mesures dans un projet de loi de finances complémentaire ou dans la prochaine loi de finances initiale pour 2026. Mais le calendrier législatif et les discussions parlementaires pourraient introduire des ajustements sensibles.
Certains observateurs s’inquiètent de l’impact potentiel sur l’attractivité de la place financière parisienne, notamment vis-à-vis des fonds étrangers. D’autres saluent au contraire une mesure de justice fiscale dans un contexte de lutte accrue contre l’évasion.
Plusieurs incertitudes demeurent :
- Quels critères seront retenus pour établir le caractère fiscalement abusif d’un montage ?
- Quel sera le traitement des conventions fiscales en vigueur ?
- Comment les autorités fiscales vérifieront-elles les conditions d’exonération ou de remboursement ?
Autant de points qui nécessitent des précisions réglementaires et qui feront probablement l’objet de vifs débats dans les mois à venir. Une chose est certaine : le régime des dividendes versés aux non-résidents est en pleine mutation, et tous les acteurs devront adapter leurs pratiques au plus vite.