Lancée en 1993 par le groupe Bavaria, la bière 8.6 s’est imposée sur le marché français malgré une réputation controversée. Avec une nouvelle stratégie centrée sur l’univers du tatouage, la marque cherche aujourd’hui à transformer son image.
Une bière associée à la rue et aux fêtes estudiantines
Sur les trottoirs après des soirées arrosées, dans les mains des jeunes en quête d’ivresse à moindre coût, ou encore sur les tables des soirées étudiantes, la bière 8.6 est omniprésente. Depuis ses débuts en France, cette canette de 50 cl à 8,6 degrés d’alcool a gagné une réputation de « bière de la rue ». Souvent consommée par des publics marginaux, punks et autres amateurs de sensations fortes, elle véhicule une image peu flatteuse. Pourtant, cette perception n’a pas freiné son succès commercial : chaque année, plus de 100 millions de canettes sont vendues en France. Selon Matthieu Ribeyron, directeur marketing France de Swinkels Family Brewers, la filiale française réalise 130 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont plus de 80 % grâce à la 8.6.
Une genèse hors des sentiers battus
Tout commence en 1992, lorsque Stan Mostermans, fondateur de la branche française de ce brasseur familial néerlandais, découvre une bière récemment introduite sur le marché britannique. À une époque où les bières légères dominent le marché français, il décide de lancer ce produit innovant : une bière forte, conditionnée dans un grand format inédit. L’année suivante, la 8.6 fait son apparition en France, mais sans grande préparation. Aucun budget publicitaire, aucune étude de marché : le produit est proposé « pour essayer ».
Cependant, sa distribution reste limitée. Ni les grandes surfaces, ni les brasseries ou restaurants n’accueillent cette bière en canette. Elle trouve alors sa place dans les petites épiceries de quartier, fournies par des grossistes. Vendue à bas prix et sans publicité, elle séduit rapidement une clientèle en quête d’alcool abordable.
Une image subie, mais rentable
Dès ses débuts, la 8.6 s’est forgée une réputation peu glorieuse. Considérée comme une boisson bon marché, elle devient rapidement l’alcool de prédilection des jeunes cherchant à « se déconnecter » pour quelques euros. Cette image, construite sans stratégie marketing réfléchie, a cependant assuré à la marque une base de consommateurs fidèles. Ironiquement, les dirigeants de Bavaria présentaient encore la 8.6 comme une bière « haut de gamme » à la fin des années 1990, malgré la réalité du terrain.
Malgré tout, la bière connaît un succès retentissant en France, bien qu’elle ait échoué sur d’autres marchés comme le Royaume-Uni. La concurrence s’adapte même au format 50 cl, confirmant le positionnement unique de la marque.
Une tentative de repositionnement
En 2002, la marque décide de redorer son blason. Un audit est mené, mettant en avant trois valeurs : taille, force et caractère. Un nouveau slogan, « démesurément bière », est lancé, et des variantes telles que Red, Gold, Absinthe et Extrême viennent enrichir la gamme. Cependant, ces efforts peinent à modifier durablement la perception publique.
Le virage du tatouage : une stratégie audacieuse
Le véritable tournant intervient en 2014. Alors qu’il feuillette un magazine spécialisé, Matthieu Ribeyron tombe sur la photo d’un tatouage arborant le logo 8.6. Intrigué, il partage l’image sur les réseaux sociaux pour sonder l’intérêt des consommateurs. La réaction est immédiate : des dizaines de photos de tatouages reprenant les chiffres emblématiques affluent, témoignages d’un attachement particulier à la marque.
Ce phénomène inspire une nouvelle orientation marketing, rapprochant la 8.6 de l’univers du tatouage, symbole de liberté et de caractère. Ce rapprochement, inattendu mais pertinent, pourrait bien offrir à la marque une opportunité de renouveler son image tout en conservant son ancrage auprès de son public fidèle.